Je vous racontais dans un autre article (De quoi j’me mêle ? ou qu’est-ce qui m’a amenée au Partenariat Patient) comment je me suis questionnée sur la relation thérapeutique après une constatation : à force de donner des solutions à mes patients, ils finissaient par se demander, face à leurs problèmes, comment je penserais à leur place pour les résoudre.
J’avais passé tant d’années à appliquer ce que j’avais appris en formation initiale, pour ce résultat ! J’avais évalué, comparé entre les épreuves, déduit un fonctionnement erroné comme on « débug » un programme informatique. J’avais alors proposé des tâches de difficulté croissante, en proposant des facilitations (« C’est quoi ça ? … On le prend quand il pleut… C’est un p… C’est un paaa… un paraaaa… parapl… oui ! un parapluie, bravo !) ; ça vous rappelle quelque chose ? Parfois, je proposais directement une méthode, parce que je l’avais apprise ou parce que pour moi ça marchait.
Et parfois, j’avoue, ça ne marchait pas. Mais ce n’est pas le plus grave, non, car dans ces cas-là, j’essayais autre chose (nous avons beaucoup d’imagination, n’est-ce pas ?) et je finissais presque toujours par obtenir ce que je voulais…en séance. Non, le problème n’était pas là, c’était plutôt que, le plus souvent, ça marchait…en séance, comme je disais. Mais le transfert dans la vie quotidienne ne se faisait pas. Loulou se souvenait du « chapeau » du livre ou du jeu mais continuait à dire « sapeau », voire ne trouvait pas le mot à la maison. Mme Bonnedame était capable de se souvenir de 3 consignes en séance mais était trop souvent incapable de se souvenir des activités de sa matinée sans rechercher dans son agenda. Évidemment, Loulou et Mme Bonnedame étaient déçus d’eux-même et j’avais beau les rassurer, ça n’améliorait pas leur manque de confiance en eux. Ils disaient que c’était grâce à moi qu’ils y arrivaient. Pourquoi cette différence entre les compétences acquises en séance et leur utilisation dans la vie de tous les jours ? 2 raisons à cela.
La 1e était qu’il manquait à mes patients un imaginaire d’avenir. Ils attachaient les compétences acquises à une tâche (un livre, un jeu, une consigne…), à mon bureau voire à ma personne. Ils n’anticipaient pas leur utilisation dans la vie quotidienne. Certains adultes me demandaient même parfois « à quoi ça sert ». Je proposais bien quelquefois des situations de réutilisation mais il y avait toujours une situation imprévue que Mme Bonnedame me racontait la semaine suivante et JE réglais a posteriori SON problème à coups de « IL AURAIT FALLU », à la grande admiration de mes patients qui « n’y avai[ent] pas pensé » (sic). Mais je le faisais avec la meilleure intention du monde !
La 2e raison était que les compétences acquises ou les processus impliqués n’étaient pas les compétences ou les processus naturellement utilisés ni les moins coûteux (ce n’était pas leur langage pédagogique). Certains de mes patients reprenaient donc leurs habitudes une fois rentrés chez eux. Et les vôtres ?
Cette dépendance cognitive m’a donc finalement décidée à chercher une méthode qui permettrait à mes patients de se réapproprier leur intelligence, c’est-à-dire leur capacité à faire des liens entre les connaissances. Sur le conseil d’une collègue, j’ai découvert la Gestion Mentale auprès d’Anne-Françoise Bouillet (La Courte Echelle).
Et ce n’est pas une méthode que j’ai découverte, mais bien une relation thérapeutique différente. Face aux erreurs de mon patient, au lieu de faire des déductions hasardeuses (Frank Médina rappelle dans sa conférence sur la modélisation de la lecture en 2019 qu' »un même effet ne s’explique pas toujours par la même cause »), je peux maintenant le questionner pour savoir ce qui a fait sens pour lui, pour savoir quelle représentation (quel évoqué) et quel cheminement de pensée (quel geste mental) il a privilégié.
Peut-être, comme lors de ma formation, vous vous demandez ce qu’il en est des patients non-verbaux, autistes ou aphasiques : comment peuvent-ils me dire ce qu’ils ont fait dans leur tête ? A cela, Anne-Françoise m’a toujours répondu : « pour qui veux-tu savoir cela ? », et j’ai fini par comprendre : cette fois je ne suis plus celle qui sait, mais celle qui permet de savoir, comme un miroir. Comme le coach qui court un petit moment aux côtés du marathonien et lui dit « c’est bien, tu y es presque, tu as déjà tant parcouru, continue comme ça. Tu te sens comment ? As-tu besoin de quelque chose ? » Même si le marathonien ne peut pas répondre, cela le fait cheminer mentalement et, de fait, par SA seule force mentale, avancer plus facilement sur SA route malgré SES obstacles. J’ai alors réalisé que la relation thérapeutique ne serait plus jamais la même. Quelques années plus tard j’ai appris que cela avait un nom : le Partenariat Patient.
Est-ce que vous connaissiez la Gestion Mentale ? Est-ce que ça vous intéresserait d’en savoir plus ?